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Finalement, un liquide de spins!

En 5 secondes : Une étude publiée dans la revue « Physical Review X » met en lumière des preuves de la présence d’un nouvel état quantique de la matière prenant la forme d’un liquide de spins dans un matériau magnétique.

Une équipe de chercheurs de l’UdeM, en collaboration avec des chercheurs de McMaster University, de Colorado State University, du Laboratoire National de Los Alamos et de l’Institut Max Planck de physique des systèmes complexes à Dresden en Allemagne, a confirmé pour la première fois la présence d’un liquide de spins quantiques.

Cette étude, à laquelle ont participé Andrea Bianchi, professeur au Département de physique de l’Université de Montréal et ses deux étudiants, Avner Fitterman et Jérémi Dudemaine, vient de paraître dans la revue Physical Review X

Pour parvenir à leur conclusion, les chercheurs ont réalisé des mesures de diffusion de neutrons, de chaleur spécifique et de susceptibilité magnétique. Leurs mesures de diffusion magnétique montraient une absence de pics de Bragg, ce qui représente une signature claire de l’absence d’un ordre magnétique classique. Cependant, ils ont trouvé une distribution qui est caractéristique d’un liquide de spins. Cette observation est en accord avec les constantes d’échange entre les spins obtenues par mesures thermodynamiques. Ces résultats, appuyés par des simulations numériques, indiquent que le matériau Ce2Zr2O7 présentent les conditions nécessaires pour former un liquide de spins.

« Identifier un nouvel état quantique de la matière est le rêve de tous les physicien.ne.s, indique le professeur Bianchi. Notre matériau est révolutionnaire, car nous étions les premiers à démontrer qu’il présente bel et bien un liquide de spins. En particulier, ce nouvel état pourrait ouvrir la porte à de nouvelles approches pour concevoir des ordinateurs quantiques. »

Des échantillons de l’Université de Montréal présentent une rare phase quantique dans l’aimant Ce2Zr2O7 à base de cérium

De nouvelles preuves expérimentales d'une phase quantique de liquide de spins dans le Ce2Zr2O7 ont été obtenues grâce à des mesures de diffusion de neutrons, de capacité thermique et de susceptibilité magnétique. Cette étude a été réalisée sur des monocristaux synthétisés par Avner Fitterman et Jérémi Dudemaine dans le laboratoire du Pr Andrea Bianchi à l’UdeM, en collaboration avec des chercheurs de McMaster University,  de Colorado State University, du Laboratoire National de Los Alamos et de l’Institut Max Planck de physique des systèmes complexes à Dresden en Allemagne. Ils répondent ainsi à une vieille question qui a été posée par deux fameux physiciens : Lev Landau, physicien russe récipiendaire du prix Nobel de physique pour ses travaux sur la suprafluidité et fondateur d’une école de physique célèbre portant son nom, et le français Louis Néel, récipiendaire du prix Nobel de physique pour sa découverte de l’ordre antiferromagnétique.

On peut imaginer les petits moments magnétiques de chaque atome de cérium comme des boussoles. Leur aimantation vient, d’une part, du moment cinétique intrinsèque des électrons, le spin, et d’autre part du mouvement des électrons dans les couches électroniques du cérium. Comme les atomes dans un solide se trouvent dans un arrangement périodique, comme sur les arrêts des tuiles sur le plancher d’une salle de bain, on parle d’un réseau atomique. Dans le cas des solides, cet arrangement périodique est tridimensionnel, et les boussoles se « parlent » en échangeant des électrons avec leurs voisins. Sous l’influence de ces interactions, les boussoles peuvent s’aligner dans la même direction, ce qui correspond à une phase ferromagnétique que l’on retrouve dans les aimants qui tiennent les photos sur les réfrigérateurs de cuisine. En fonction de la direction de cette interaction, il y a une deuxième possibilité pour ordonner les boussoles, tel que proposé par Louis Néel. On peut les placer en alternant les pôles sud vers le haut et leurs pôles nord d’un voisin à l’autre. On appelle ce type d’arrangement un ordre antiferromagnétique. Cet ordre est classique, dans le sens qu’il n’y a pas d’intrication entre les fonctions d’ondes entre les spins des boussoles. Ce sont les deux façons équivalentes d’ordonner des boussoles sur un réseau.

La vue alternante vient de Lev Landau. On peut illustrer ce point de vue si on simplifie le problème a deux atomes avec seulement deux électrons, on se retrouve avec l’équivalent de la molécule de l’hydrogène : comme les électrons sont des particules quantiques, les liens chimiques sont formés par une fonction d’onde commune qui est « intriquée ». Ceci veut dire qu’on doit écrire les états électroniques comme (|up down> + |down up>) ou (|up down> – |down up>). Contrairement à un ordre magnétique classique, on retrouve ici une fonction d’onde intriquée sans ordre magnétique.

On connaît une panoplie de matériaux qui présentent un ordre magnétique classique. Par contre, l’existence d’une version quantique des aimants est longtemps demeurée davantage spéculative. Ceci a changé lorsque Phil Anderson, dans les années 1970, a proposé théoriquement l’idée d’un ensemble de spins en interaction antiferromagnétique sur un réseau triangulaire. Considérons d’abord un seul triangle. Dans cette géométrie, il est impossible de remplir la condition d’antiferromagnétisme où tous les spins sont anti-alignées par rapport à leurs voisins. On appelle ceci de la frustration géométrique, puisque les spins ne peuvent pas former leur arrangement préféré. Ainsi, on supprime l’ordre classique en refroidissant de tels matériaux. Cette proposition a déclenché de fortes activités de recherche sur la classe des matériaux dits aimants frustrés dans le but de trouver un état magnétique quantique dont les moments magnétiques sont intriqués à longue distance. On appelle un tel état, un liquide quantique de spins, où les spins magnétiques restent désordonnés et fluctuent de manière intriquée même lorsque le matériau est refroidi au zéro absolu de température. Les liquides quantiques de spins sont de grand intérêt, car ils possèdent de nouveaux états excités avec lesquels nous sommes peu familiers. De plus, l’intrication quantique à longue distance dans ces systèmes est nécessaire pour réaliser plusieurs protocoles de technologies quantiques, y compris dans le domaine de l'informatique quantique.

Notre matériau, le Ce2Zr2O7, est un candidat particulier pour former un liquide quantique de spins qui a généré beaucoup d'attention récemment, offrant la possibilité de créer de nouvelles phases quantiques à basse température, en raison du caractère « dipolaire-octupolaire » des fonctions d’onde électroniques. Il s’agit donc d’une version plus complexe d‘arrangement des spins de cérium. Notre travail présente en détail l’émergence d’une telle phase de liquide quantique de spins à basse température dans le Ce2Zr2O7. Ce travail établit les paramètres d'interaction dans le Ce2Zr2O7, ce qui a permis, avec l’aide de calculs théoriques de nos collègues, de démontrer que le Ce2Zr2O7 se comporte comme un véritable liquide quantique de spins.

https://link.aps.org/doi/10.1103/PhysRevX.12.021015
DOI: 10.1103/PhysRevX.12.021015