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Quand la supraconductivité est magnétique

andrea bianchi

Des chercheurs de l’Université de Montréal, de l’Institut Paul-Scherrer, de l’École polytechnique fédérale suisse et du Los Alamos National Laboratory publient leurs résultats dans la prestigieuse revue Science.

Lorsqu’un courant électrique passe dans un fil, il le chauffe; c’est le principe du grille-pain et de l’ampoule incandescente. À basse température, certains matériaux violent cette loi et conduisent le courant sans aucune perte de chaleur. Cette propriété en apparence anodine, la supraconductivité, a une origine purement quantique et son étude permet d’approfondir notre compréhension d’un des aspects les plus bouleversants de la physique du XXe siècle.

Dans l’édition du 11 septembre de la prestigieuse revue Science, Andrea Bianchi, professeur au Département de physique de l’Université de Montréal, et ses collègues montrent que, contrairement à ce qu’on pensait, la supraconductivité peut induire du magnétisme, soulevant un nouveau mystère quantique.

Utilisant la source des neutrons de spallation suisse (SINQ) de l’Institut Paul-Scherrer (PSI) à Villigen, le groupe de chercheurs internationaux mené par Michel Kenzelmann, scientifique à PSI et professeur à l’École polytechnique fédérale suisse de Zurich, a trouvé un supraconducteur présentant deux propriétés quantiques fascinantes. Tout d’abord, le matériau dans l’état supraconducteur possède un ordre magnétique, ce qui constitue une surprise puisque les deux phénomènes (supraconductivité et magnétisme) s’opposent normalement.

De plus, les expériences du SINQ démontrent que les paires d’électrons qui s’apparient pour former l’état supraconducteur ont une impulsion qui n’est pas nulle, à l’encontre de ce qu’on observe dans tous les autres supraconducteurs connus. Un tel état avait été prévu théoriquement il y a plusieurs années, mais il n’avait encore jamais été détecté microscopiquement.

Magnétisme et supraconductivité
Le transport du courant électrique dans un conducteur est associé au déplacement des électrons. Les collisions entre ceux-ci et les ions du cristal causent de la résistance et libèrent de la chaleur. Dans les supraconducteurs à basse température, les électrons s’assemblent par paires, ce qui leur permet ? grâce à la mécanique quantique ? de synchroniser leur mouvement avec celui des atomes et d’occuper le même état quantique. Alors que les électrons dans l’état normal peuvent être vus comme des marcheurs sur une place publique à l’heure de pointe, dans l’état supraconducteur, les paires d’électrons sont comme des couples de danseurs qui tournent ensemble, sans collision, au rythme de la musique.

L’électron a une charge mais aussi, comme un minuscule aimant, un moment magnétique qu’on appelle «spin». Dans le supraconducteur, les paires d’électrons sont formées d’électrons de spin opposé, ce qui annule le moment magnétique du couple. Lorsqu’on place le matériau dans un fort champ magnétique, on force les spins à s’orienter selon le champ. Habituellement, ce renversement brutal brise les paires et détruit la supraconductivité. De nouvelles façons de voir suggèrent toutefois que ce n’est pas nécessaire; la supraconductivité et le magnétisme tendent à s’éviter s’ils ne s’excluent pas toujours. Selon Michel Kenzelmann, «la supraconductivité et le magnétisme sont comme deux groupes de prédateurs qui luttent pour le même territoire».

Supraconductivité avec des conséquences magnétiques
Dans l’expérience rapportée dans la revue Science, les scientifiques ont refroidi un monocristal de CeCoIn5, un métal composé de cérium, de cobalt et d’indium, à une température de moins 273,1 degrés, une température près du zéro absolu. À leur grand étonnement, ils ont alors découvert que le magnétisme et la supraconductivité coexistent et disparaissent en même temps lorsqu’ils chauffent l’échantillon.

Cette découverte est extraordinaire : l’ordre magnétique existe exclusivement quand cet échantillon est dans l’état supraconducteur. Dans ce cas unique, magnétisme et supraconductivité ne se concurrencent pas; c’est plutôt la supraconductivité qui génère l’ordre magnétique.

Michel Kenzelmann ajoute : «Nos résultats indiquent clairement que la supraconductivité est une condition requise pour établir cet ordre magnétique. Nos travaux offrent enfin la possibilité de comprendre le fonctionnement de la formation des paires supraconductrices dans les matériaux où celle-ci est causée par une interaction magnétique. Nous espérons également que nos résultats permettront le développement de nouvelles applications technologiques d’ici peu.»

Paires nouvelles
Une deuxième découverte importante est relatée dans le même article : les paires d’électrons dans l’état supraconducteur à champ magnétique fort possèdent une impulsion finie. Dans tous les autres supraconducteurs connus, les paires montrent une impulsion totale nulle. Prévue par les théoriciens il y a quelques décennies, l’observation d’un tel état est la première preuve expérimentale de ce phénomène.

Ces deux résultats soulèvent de nombreuses questions sur les rapports entre le magnétisme et la supraconductivité. Les réponses qui seront apportées au cours des prochaines années permettront de mieux comprendre cette partie fascinante de la mécanique quantique et pourront même mener à la découverte de nouveaux matériaux supraconducteurs utilisables technologiquement.

Pour de plus amples renseignements :

Professeur Andrea Bianchi
Téléphone : 514-343-6734
Courriel : andrea.bianchi@umontreal.ca