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Réflexions sur le Prix Nobel de physique 2013 par Manu Paranjape, professeur au département de physique de l'UdeM

François Englert et Peter W. Higgs

Le 15 octobre dernier, l'académie royale suédoise a décerné le prix Nobel 2013 en physique à François Englert, un théoricien belge, professeur émérite à l'Université Libre de Bruxelles, et Peter W. Higgs, un théoricien anglais, professeur émérite à l'Université d’Édimbourg, pour "leur découverte théorique du mécanisme qui contribue à notre compréhension de l'origine de la masse des particules subatomiques, et qui était récemment confirmée par la découverte de la particule fondamentale prévue, par les expériences Atlas et CMS au collisionneur LHC au CERN".   

Mais qui a publié en premier? L'article de Englert, publié ensemble avec son collège Robert Brout qui est décédé en 2011, était publié en Physical Review Letters en août 1964 (date reçue 26 juin).  Les travaux de Higgs apparaissaient d'abord en Physics Letters en septembre 1964 (date reçue 27 juillet) et ensuite en Physical Review Letters en octobre 1964 (date reçue 31 août).  On croit que les deux groupes étaient arrivés aux mêmes conclusions de façons indépendantes.  Dans son article d'octobre, Higgs a dû citer l'article de Englert et Brout d'août, dont il ignorait, mais seulement à l'insistance de l'arbitre, qui est connu d'être Nambu.  En fait, Higgs lui-même avait d'abord envoyé son deuxième article à Physics Letters le 31 juillet, mais il était rejeté.  Higgs s’est dit être choqué par ce rejet et a conclu que les gens au CERN, qui contrôlaient la publication Physics Letters, ne vont jamais comprendre ses idées!  Il a  décidé d'ajouter un peu à la présentation et d'envoyer l'article à Physical Review Letters où il a finalement été publié en octobre.  Ce qu'il a ajouté fait le lien entre théorie et expérience, il a insisté sur le fait que sa théorie avait des conséquences expérimentales incontournables.  

Ensuite, en novembre (date reçue 12 octobre) est apparu un article par G. S. Guralnik, C. R. Hagen et T. W. B. Kibble qui semble est un troisième groupe indépendant qui a fait la même découverte.  Mais leur article cite explicitement les travaux de Englert, Brout et Higgs.  Il est donc possiblement juste de ne pas inclure ces derniers trois dans le prix Nobel.  Mais aussi, il y a une raison technique. Alfred Nobel lui-même avait imposé la contrainte que le prix Nobel ne pouvait être octroyé qu’à trois récipiendaires au maximum!  Par contre, tous les six (Brout était toujours avec nous à l'époque) ont déjà reçu le prix J. J. Sakurai de la Société américaine de la physique en 2010 pour leur découverte!

L'apparition de ces articles a fait une vague de fond en physique des particules théorique.  Les trois éléments, théorie de jauge, brisure de symétrie et les particules sans masse jouent un rôle.  La brisure de symétrie était étudiée par Y. Nambu (avec G. Jona-Lasinio) et J. Goldstone (directeur de thèse de Manu Paranjape, professeur au département de physique).  Ils avaient trouvé qu'une brisure de symétrie spontanée est toujours accompagnée par les particules sans masse, souvent appelées les bosons de Goldstone (mais aussi référés comme les bosons de Nambu-Goldstone).  Une brisure de symétrie spontanée est caractérisée par un potentiel qui est parfaitement symétrique, mais son point d'énergie au minimum n'est pas à un point symétrique, comme le dessous du fameux chapeau mexicain.  L'existence des bosons de Goldstone dans une brisure de symétrie spontanée est appelée le théorème de Goldstone (prouvé par J. Goldstone, A. Salam et S. Weinberg en 1962).  Un des éléments importants dans la preuve du théorème de Goldstone est l'hypothèse d'invariance relativiste.  Les articles de Englert, Brout et Higgs en fait montraient un contre-exemple au théorème de Goldstone!

D'abord on avait pensé que l'invariance de jauge impose déjà l'existence des particules sans masse.  Ceci était réfuté de façon spectaculaire par J. Schwinger (1962) avec sa solution du modèle (de Schwinger) qui correspond exactement à l'électrodynamique quantique dans 1 dimension spatiale.  La raison pour l'absence des particules sans masse dans ce modèle en fait est à cause du confinement.  Les électrons étaient confinés à rester seulement dans les états étroitement liés avec les positrons et ces mésons devenaient des particules libres, massives.  Dans une théorie réaliste, en 3 dimensions spatiales, avec invariance de jauge non brisée, le confinement est la seule façon d'éviter les particules sans masses.  En fait pour la chromodynamique quantique (QCD), qui est la théorie des interactions fortes entre les quarks, il est fortement pensé que le confinement garde les quarks étroitement liés et de façon permanente  dans les états massifs, sans couleur.  En fait le prix Nobel de physique en 2004 était donné à D. J. Gross, H. D. Politzer et F. Wilczek (directeur de thèse de Richard MacKenzie, professeur au département de physique) pour leur découverte de la liberté asymptotique de la QCD.  Cela veut dire qu'à très courtes distances les forces entre les quarks dues à la QCD, disparaît.  Par converse, alors, pour les grandes distances les forces renforcent, menant au confinement.  Il suffit à dire que la preuve finale de confinement reste toujours un des problèmes millénaux du Clay Mathematical Institute.  Si vous êtes capable de fournir la preuve, vous allez gagner un million de dollars!  

Pour la brisure de symétrie spontanée, il y avait le théorème de Goldstone, qui imposait l'existence des particules sans masse.  Maintenant avec la découverte du soi-disant "mécanisme de Higgs", il y a une autre façon d'éviter des particules sans masse dans une théorie de jauge.  Mais qui a vraiment découvert le mécanisme de Higgs.  Un premier article de Y. Nambu de février 1960 (date reçue juillet 1959) déjà commence à avoir les bonnes idées dans la bonne direction. Ensuite un article de P. W. Anderson d’avril 1963 (date reçue novembre 1962) avait parfaitement compris le mécanisme.  Mais ces deux articles étaient dans le contexte de la description de la supraconductivité, un théâtre complètement non relativiste.  Alors, au moins à l'époque, les physiciens de particules étaient convaincus que les analyses de Nambu et d'Anderson n'appliqueront pas dans un contexte invariant relativiste, à cause principalement du théorème de Goldstone.  Par contre, sur le site internet de P. W. Anderson il dit qu'il a "inventé le boson de Higgs en 1962"!

Finalement, pourquoi éviter des expérimentateurs?  En fait, c'est eux qui ont fait la découverte physique.  Le groupe d'Atlas (qu'au sein travaille Jean-François Arguin, professeur au département de physique, Georges Azuelos, professeur associé au département de physique et chercheur de TRIUMF et Claude Leroy, professeur au département de physique) et le groupe CMS ont fait la découverte réelle!

Pour plus amples informations, consulter les sites internet: